Un chien de garde, un loup solitaire... Dans les deux cas, ça saute à la gorge rapidement.
Discret, cinique, professionnel. Les trois mots qui viendraient à n'importe qui dans Vasterya. Il a roulé sa bosse dans le milieu, Eldarion est la cité qu'il connait le mieux et où tout le monde essaie de ne pas le croiser. Soit vous êtes sa cible, soit il vous portera malchance. C'est un des rares Sadalsuud qui tue, au nom du Conseil. Bon nombre de mercenaires le détestent car il a la facheuse tendance à arriver en premier ou à traquer en premier ses concurrents avant d'arriver vers sa cible. Il tue en réalité rarement, ses victimes sont souvent des fuyards de la justice ce qui lui impose d'avoir plusieurs plans au cas où car transporter quelqu'un n'est jamais aisé quand une dizaine de coupe-jarets suivent la même trace. Surtout quand le "paquet" ne coopère pas. Toute cette haine et cette crainte lui ont forgé deux surnoms : le loup blanc pour les plus respectueux, le chien de garde pour les lâches qui n'oseraient jamais le lui dire en face.
Même auprès de sa famille, il n'a pas réellement la côte. Dans le clan, un membre doit être désigné pour se débarasser des rebelles de leur propre sang et cette responsabilité lui incombe pour l'instant. Seuls quelques Sadalsuuds lui tiennent à coeur parfois avec une réciproque ou non et malheureusement, son fils Léo le rejette.
Comme si cela ne suffisait pas, c'est un loup sans meute, dès qu'il se transforme, il sent le manque d'un lien avec une multitude de hurlements et de japements. Il déteste se transformer mais il en a besoin régulièrement, plus il attend, plus son loup intérieur gratte à l'intérieur de sa tête et il n'est pas idiot, une forme plus forte, plus grande et plus rapide est un outil de travail. A chaque pleine lune, il s'adonne à une chasse toute la nuit et va dormir dans un endroit inconnu quasiment toute la journée.
Sa solitude est une arme et une croix qu'il traine, un fardeau devenu très lourd avec la vieillesse et depuis la mort de sa femme, il y a trois ans. Il n'arrive pas à faire le deuil, il se réfugie souvent dans l'alcool ou le travail ce qui a fait fuir son fils. Pourtant, il ne manque pas d'amour, ni de loyauté. Les très rares amis qu'il possède sont tout pour lui et sa dévotion totale envers sa famille ne connait pas de limite. Seulement, il n'est pas démonstratif, il ne sourit que rarement, un vieux grincheux qui parle à voix basse quand il daigne ouvrir la parole, tout ça pour généralement s'en tenir soit à l'essentiel, soit au sarcasme ou les deux. Gabriele cache énormément de secrets, beaucoup ses sentiments et même des détails totalement innocents de sa vie qu'il considère comme privés.
Le souci est que cela l'entraîne dans ses vices plus rapidement comme l'isolement, l'alcool qu'il encaisse assez facilement ou vers Morwen Valhana dont il n'assume pas leur liaison. De plus en plus de mensonges restent coincés dans son cœur pour les autres et surtout pour lui-même. A présent, il devra tout de même se montrer davantage sociable pour honorer sa place officielle en qualité de Conseiller. Il en soupire déjà de fatigue.
Dans la neige, le loup se souvient. Quand on est adulte, on regrette d'avoir été égoïste étant plus jeune, on voudrait revenir en arrière pour mieux profiter des choses simples, des gens que l'on aime et que l'on a du mal à approcher aujourd'hui.
Gabriele avait froid, il s'en moquait, cela lui faisait du bien. A chérir sa peine dans l'hiver, il se sentait plus près de ceux qu'il avait du enterrer trop tôt. Sa tendre solitude, ce creux qui l'aspirait dans les souvenirs.
"Te souviens-tu ? Notre première fois ?"
Ça sentait le raisin, l'iode, Lonarosh était si belle ce jour-là. Il n'avait jamais été aussi heureux de sa vie, avec Rose, ils étaient jeunes, insouciants, se donnant l'un à l'autre. Toute cette histoire de rivalité avec son frère, ses déboires avec Susanna, tout ceci fondit comme neige au soleil. Il avait trouvé sa moitié, avec qui il allait pouvoir vivre sa vie, former une famille, tout allait devenir plus facile et c'était une denrée rare qu'il ne pouvait refuser.
Gabriele Sadalsuud était la lame de l'ombre du Conseil et officieusement le serviteur d'une famille noble qui dirigeait au Conseil. Le but du clan Sadalsuud a toujours été de favoriser les chefs les plus dévoués à la protection de Vasterya pour espérer un jour chasser ses éléments les plus corrompus. Ce genre d'entreprise demande du temps, de la persévérance car l'avidité n'était pas une chose que l'on pouvait effacer. Si on se débarrasse d'un fruit pourri, un autre fruit allait prendre sa place, à savoir s'il allait donner quelque chose de positif ou de négatif. Sur ce point, Gabe ne se pose pas de questions : on l'avait placé sur un cheval désigné comme gagnant, il ne devait que se plier à leurs exigences. Dès lors sa place acquise, très jeune, Gabe eut donc peu de contacts avec sa famille. De Nennvial, on le transféra à Eldarion pour qu'il soit entraîné à contrer les pires racailles, surtout les assassins, d'autres traqueurs et surtout les mages au sein de la cellule Sadalsuud que l'on appelle les Sans-visages que sa mère dirige. Ce fut une femme intransigeante qui dispensa son savoir à son premier fils mais contrairement à ce que beaucoup pensent, Diana Sadalsuud était une mère attentive aux besoins de Gabriele, autant elle exigeait de lui, en retour, elle le nourrissait bien, lui enseignait comment en faire de même. Gabe adorait sa mère et l'aime toujours autant mais son caractère introverti qu'il avait hérité de sa mère l'empêcha de lui dire à haute voix. Les soirées silencieuses à boire du thé et les longues méditations avaient été suffisante pour passer de bons moments ensemble, alliant l'utile à l'agréable.
De temps en temps, elle lui offrait même quelques jours de repos dans les vignobles de l'autre versant des montagnes qui abritent Lonarosh. Elle s'assurait que son deuxième fils, Guilio puisse profiter de son frère. Même le temps et la distance ne réussirent pas à briser la complicité entre les deux frères, devenus de jeunes hommes vigoureux.
"Deux frères, une femme, problèmes."
Jusqu'à ce que la belle Susanna entra dans leurs vies, semant la discorde entre les deux frères qui se disputaient sa compagnie. En premier, Susanna était très touchée par la discrétion de Gabriele malgré le peu d'émotions qu'il arrivait à transmettre. De petits gestes, quelques regards qui ne trompaient pas, Susanna savait que cet homme d'apparence froide débordait de bons sentiments. Chaque début de saison, ils se retrouvaient comme au premier jour mais plus ils grandissaient, plus le poids de leur vie d'adulte se faisait sentir. Guilio ne perdit pas le nord et réussit à la courtiser aux bonnes occasions. Gabriele ne pouvait en vouloir à son aimée de penser à l'avenir. Elle voulait être mariée, être mère et ses responsabilités de l'ombre empêchait le jeune traqueur à assouvir les besoins d'une femme.
"C'était son choix. Ce n'est pas parce qu'elle possède un utérus qu'elle doit songer systématiquement à se marier et faire un enfant."
La petite sœur à la langue pendue refusa l'air dépité de Gabe, Rose était vue comme moins jolie et pourtant, elle avait son charme. C'était surtout sa fierté d'être plus intelligente que les rares soupirants qu'elle put avoir qui lui avait valu cette réputation. Pourquoi ce ton cynique ? Elle était plus gentille quand elle était plus jeune. La curiosité leva le rideau sur la réelle identité de Rose, personne ne s'intéresse à la seconde née et pourtant, elle cachait une sensibilité raffinée, un esprit sage, une intelligence qui voulait s'abreuver d'autres livres. De la curiosité au plaisir de sa compagnie, Rose fit naître en Gabriele l'envie d'avoir tout le temps de la connaitre puis de finalement la demander en mariage.
Un mariage solide, qui durait des années, toujours amoureux, passionnés et complices ce qui rendit jaloux leur petit bout de chou, Léonardo Sadalsuud. Heureusement que son père avait des préoccupations qui l'amena aux quatre coins de Vasterya, l'occasion pour Rose et Léo de tisser des liens entre parents, en dépit de la distance, l'inquiétude d'une femme pour son mari supplantait l'instinct maternel.
A raison lors de cet incident.
Il n'aurait jamais du partir seul, traquer un Lycan était risqué, ç'aurait pu mal se terminer et heureusement que l'âge de sa mère n'influença peu l'urgence de protéger son sang mais ce fut trop tard pour le sauver de la transformation. A l'aide des apothicaires de la famille, les chances de survie de Gabriele avaient été augmentés. Cependant, il dût s'isoler du reste du monde pour être "apprivoisé", connaître ses limites, comment utiliser les attributs de sa nouvelle nature. Diana savait qu'en l'entraînant dans son domaine de prédilection, Gabe aurait plus de facilité pour maîtriser le loup qu'il était devenu. Une couleur de fourrure qui s'adaptait bien selon l'année, gris le printemps et l'été pour blanchir la bise arrivée, des sens accrus qui facilitait grandement ses dons de pistage et une endurance bien supérieure qui le prédisposait à des missions plus longues ou plus risquées. Néanmoins, la matriarche Sans-visage ne voulait pas en faire une bête sanguinaire mais plutôt un combattant rapproché utilisant sa force pour l'ajouter à celle de son ennemi pour défaire rapidement tout un groupe. Un an plus tard, ils s'arrangèrent pour réunir la famille sous surveillance pour voir la réaction de Gabriele, toujours calme, très heureux de revoir sa femme et son fils. Tout était bien amorcé pour que la vie reprenne un cours à peu près normal, rythmée par les chasses nocturnes pour relâcher la bête régulièrement. Par peur qu'il s'attache à une autre femelle lycan, Gabe s'interdit tout contact avec une meute, à contre-cœur, la part animale se sentait seul sans intégrer une horde d'autres loups. Petit à petit, une sorte de mélancolie s'installa dans son esprit, sans qu'il veuille en parler, ne comprenant qu'à moitié la situation. Pourtant, il était toujours fou amoureux de sa femme, prenait du plaisir à accompagner son fils dans ses débuts d'adultes, son intégration à la branche technologique magique des Sadalsuud à Ragnarok.
"Il te manquait quelque chose. Un creux en toi. Il s'agrandit."
Toujours à la recherche d'un enième fugitif, Gabe passait de temps en temps dans les ruelles d'Eldarion, espérant glâner quelques informations des badauds du coin, il reçut quelques échos concernant une elfe qui commençait dans le mercenariat, réputée pour sa cruauté, sa beauté et apparemment ses charmes plus que convaincants. Autant voir la graine de la concurrence par lui-même...
"Il y avait un creux ici."
...ce n'était pourtant pas sa beauté qui attira ses yeux ambrés... Enfin, pas seulement. Il y avait quelque chose. Son instinct le lui hurlait.
"Il n'y est plus à présent."
Il reconnut l'odeur de vampire, était-ce parce qu'elle était une prédatrice comme lui ? Il avait déjà été confronté, lycan et vampire mais il n'avait jamais eu une fascination comme celle-ci. Gabriele n'était pas du genre à laisser son instinct sans réponse ; méthodique, cartésien, il comptait s'approcher d'elle petit à petit. Il n'avait pas besoin de contact trop rapproché. Hors de question de non seulement tromper sa femme mais utiliser une femme alors qu'elle ne le souhaite pas, c'était hors de question de s'abaisser à ces pratiques. Plus le loup se renseignait, plus il avait envie de la connaitre et cela se solda par la suite logique : un rendez-vous incognito. Pourtant, il était déterminé à ne pas céder à ses charmes, insistant sur le fait qu'il voulait simplement sa compagnie. Un bien étrange client, qui devint un régulier, dans des endroits différents, dans des circonstances différentes, des entrevues qui s'étendaient de plus en plus, simplement pour discuter, manger ou simplement dormir. Qui l'aurait cru ? Le terrible loup blanc n'était pas autant cruel que tous les mercenaires s'accordaient à dépeindre, il dégnait même lui donner quelques astuces pour favoriser son ascension dans le milieu. Il avait même envisagé d'en faire sa partenaire mais elle était libre, personne ne dictait la vie de Morwen Valhana.
"On ne peut pas toujours avoir ce que l'on désire."
Non. On ne peut pas. Gabe n'avait jamais caressé, ni embrassé Morwen. Si, peut-être de temps en temps ses cheveux, sa joue mais rien ne trop intime. Si, bougre d'idiot, le fait de se sentir trop proche... Gabriele avait fauté. Il pria avec ferveur et la seule réponse qu'il eut était du sang sur la neige.
Celui de sa femme.
"Il y avait un cr..."
Des heures ? Des mois ? Il avait été absent pendant combien de temps ? Une simple machine arpentait Vasterya, toujours une mission à accomplir.
"Père ?"
Le monde n'arrête pas de tourner, même si le centre de son monde n'était plus.
"Père, m'entendes-tu ?"
Je ne veux pas d'un monde sans elle.
Il en était convaincu. Quand il est venu voir directement Morwen, il savait ce qu'il voulait. Et puis, si elle était celle qui aurait réussi à tuer le loup blanc, sa carrière n'en serait que plus belle, elle avait tout à y gagner. Alors pourquoi ? Pourquoi il se sentait moins seul à ses côtés ? Gabe en perdait l'envie de mourir. Il voulait se reposer. C'est tout.
Elle ne pouvait pas être là, tout le temps, à ses côtés. En attendant, le traqueur s'enfonça dans son travail la tête la première, attisant l'inquiétude de Susanna et même de son propre frère, Guilio, qui lui offrit même l'opportunité de pouvoir un peu plus s'occuper de sa famille via un plan : grace à l'allégeance d'une des familles dirigeantes au Conseil, il pouvait demander au moins un siège de Conseiller et ainsi guider sa nièce dans le monde de la politique, l'instruire. Un monde différent, une nouvelle mission qui devait aussi le tirer hors de ses vices et d'une dépression certaine.
Gabriele accepta ce plan. En contrepartie, il devait trouver un successeur pour l'aider à continuer ses précédentes tâches tout en assurant ses responsabilités en tant que Conseiller.
Pourtant, il n'oubliait pas, il allait avoir la tête du meurtrier de sa femme, coûte que coûte.
Ainsi, le loup quitte la froideur de la neige, loin des siens, loin des nouveautés qui allaient venir dans sa vie. Il y a des choses qui ne changent pas. On retourne toujours quelque part.
Pourquoi toi et tes bras de jeune femme sombre, Morwen ?